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Il reste deux classes zoologiques, et ce sont les plus importantes, parmi lesquelles l'ami des bêtes choisit généralement l'objet de sa passion : les mammifères et les oiseaux. L'une et l'autre ont leurs partisans, mais il est rare que l'ami des serins soit également l'ami des chats. Il faut opter. Cela désole bien des coeurs sensibles, mais on n'a pas encore trouvé le moyen d'amener les félins à contempler avec froideur la cage aux oiseaux. Il faut donc considérer séparément le poil et la plume.
L'ami des oiseaux n'aime pas tous les oiseaux, ou du moins il ne les aime pas tous de la même manière, principe que nous avons posé au début de cette élude comme une vérité fondamentale, et sans laquelle il est impossible de rien comprendre à une question que nous avons entrepris de traiter, enfin avec une impartialité académique. L'ami des oiseaux aime les perroquets sur leur perchoir, les serins, les veuves et les capucins dans leurs cages respectives, les canards aux olives et les poulets à la fricassée. L'idée sacrilège d'une brochette de canaris le fait pâlir d'effroi, mais il ne conçoit les cailles que bardées de lard et vêtues d'une feuille de vigne. Il met les perdrix aux choux et les magnifiques cardinaux derrière un treillis doré qui s'harmonise à merveille avec la pourpre de leur plumage. L'ami des oiseaux connaît l'art des nuances et des accords. Il sait que l'alouette réclame le pâté et l'hirondelle la liberté des espaces. J'aime les amis des oiseaux. Le dernier que je vis picorait un confit d'oie, en dialoguant avec son perroquet, dont il tâchait, en vain, d'imiter l'accent pittoresque. Evidemment, cet excellent ami des oiseaux se serait trouvé mal si vous lui aviez parlé de manger un confit de perroquet en dialoguant avec une oie. Mais qui sait ? Peut-être qu'aux pays des perroquets ce sont les perroquets que l'on plume et les oies qui font les belles ?
La langue française, qui a beaucoup d'esprit, a prévu ces deux manières d'aimer les oiseaux. Elle dit : « Il aime le pigeon » ; elle dit aussi : « Il aime les pigeons», et cela signifie des choses différentes. Quand on connaît la grammaire, on ne s'étonne de rien ; c'est ce que je fais.
L'amour que les amis des bêles portent aux
mammifères est du même ordre que celui qu'ils
déversent sur des oiseaux, mais il est plus vaste et
plus profond. Il s'étend d'abord sur l'espèce canine
tout entière, ce qui permet au sentiment de s'allonger à l'infini. C'est un beau clavier que celui qui va du molosse danois au petit havane que l'on met dans son manchon. Cependant, aimer tous les chiens serait banal. Il y a des variétés à la mode ;
autant il serait peu décent d'aimer un mâtin ou
un briquet, autant il est honorable de brûler d'amour pour un colley ou un lévrier russe. En principe, tous les chiens sont sacrés, comme dans l'Inde toutes les vaches, mais il y a des degrés dans le sacramentel, et il faut savoir faire des choix élégants et distingués. L'ami des chiens n'y manque pas.
L'ami des chats s'exerce dans un champ moins ample ; il en est généralement réduit à opter entre l'angora et le chat de gouttière, mais il se rattrape sur la robe : le fauve est le plus beau, mais l'hermine fait des passions, ou le noir diabolique, ou même les gris tigré. Les anciens Egyptiens avaient des chats, mais ils leur préféraient la panthère, qu'ils savaient dresser et amadouer. Alors cela valait la peine d'être l'ami des bêtes ; nos dressages sont plus modestes. J'ai cependant vu un renard suivre son maître ; mais c'est très rare. Le renard est indocile, même quand une agrafe d'argent l'enchaîne au cou d'une femme.
C'est sous cette forme que l'ami des chats et des chiens préfère avoir des relations avec les mammifères sauvages, loups et ours, loutres et martres. Si c'est un herbivore, l'amour ne s'arrête pas à la peau ; les moutons, qui aimeraient à être caressés, eux aussi, en savent quelque chose. Les chevaux inspirent des affections généralement financières ; rien de plus violent, rien de plus dévoué que la passion d'un paysan pour le poulain qu'il espère vendre à la prochaine foire un joli sac d'écus. Quant aux jeunes veaux que l'on rencontre dans les salons, nous n'en dirons rien : ils appartiennent généralement à l'espèce humaine.
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