Le chat dans la fable

La fable : un genre très apprécié

Nombreux sont les émules de La Fontaine au XVIIIe siècle. Une vision plus positive du chat que chez l'illustre fabuliste se fait jour.

LA FABLE ET LA VÉRITÉ

La Vérité dit un jour à la Fable :
De quel front soutiens-tu que nos droits sont égaux ?
J'existe avant les temps : toujours brillante et stable,
J'ai vu les éléments s'élancer du chaos.
Tout se détruit, change et succombe;
A cette loi l'univers est soumis ;
Je la brave ; un empire tombe ;
Moi, je m'assieds sur ses débris.
Je connais ton pouvoir, je sais ton origine,
Lui répond la Fable en riant ;
Elle est très noble assurément ;
Sur les âges elle domine :
Je ne suis que ton ombre, et le dis franchement ;
Mais je fuis une ombre badine.
Ton miroir, par exemple, est un meuble effrayant;
La faiblesse le craint, l'amour-propre le brise ;
Moi, je corrige en égalant ;
Tu montres la leçon, et moi, je la déguise.
Le temps ne fut pas trop sensé
De t'avoir ainsi dépouillée :

Quand l'homme est corrompu ; tu dois être voilée.
Ma très auguste soeur, l'âge d or est passé.
Ne vas point prêcher ainsi nue,
Si tu prétends grossir ta cour.
Vénus même, Vénus plaît mieux un peu vêtue ;
La nudité ne sied bien qu'à l'Amour.
Tu menaces ; je ris sans cesse.
Pour instruire l'orgueil, il faut le caresser.
Quand je guéris les cœurs que tu viens de blesser,
L'homme, ce vieil enfant, me prend pour la sagesse.
Tiens, faisons la paix en ce jour :
Unissons-nous pour venger ton injure :
Je serai ta dame d'atour,
Et j'aurai soin de ta parure.

Claude-Joseph Dorat (1734-1780)

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La chatte et l'orage

Minette ! eh quoi ! tu n'es donc qu'une bête,
toi dont l'esprit m'avait toujours surpris !
toi qui te ressouviens, prévois et réfléchis,
tu n'es qu'un automate ! et tu n'as qu'une tête
et des sens comme nous, là… que pour l'ornement,
seulement !
Quoi! lorsqu'en embuscade au creux d'une gouttière,
griffe en arrêt, tu fais la guerre
aux ennemis de tes états ;
lorsqu'inventant maint stratagème
fut, digne de Frontin lui-même,
Contrefaisant la morte, accrochée à des lacs
par la patte, la queue en haut, la tête en bas…
quoi ! dans ces tours où brille une raison suprême,
à peu près comme nous, tu ne raisonnes pas !
– "Ciel ! un chat raisonner ! quelle thèse damnable,
va s'écrier le vieux docteur,
partisan de Descartes, éternel disputeur !
vous le douez d'une âme à la mienne semblable,
d'un esprit immortel, innocent ou coupable
vous êtes philosophe, et je conclus qu'il faut…
– qu'il faut m'entendre au moins : ai-je dit un seul mot,
qui ressemble à cela ? je suis très orthodoxe
écoutez-moi : ce chat, je le fais raisonner :
donc c'est un esprit pur que je veux lui donner.
Belle conclusion ! Je le vois combiner,
examiner, juger et se déterminer ;
et je ne puis sans paradoxe,
lui refuser sa part au don de raisonner,
donc qu'avec Condillac je sais qu'il faut borner.
Je sens, je vois l'effet dont j'ignore la cause.
Chez nous, l'âme est le grand agent,
le seul principe intelligent ;
d'accord : eh bien ! chez lui c'est autre chose.
Mais qu'est-ce ? Je ne sais. On explique cela
par l'instinct, direz-vous. – Le beau mot que voilà !
Eh ! qu'est-ce que l'instinct ? sinon la connaissance
Encore dans son commencement ;
toujours fille du sentiment,
Nous l'appelons esprit, raison, intelligence,
alors qu'elle est à des corps plus parfaits.
Un monde de besoins hâte en nous les progrès,
et pour moi, je crois voir moins différer en science,
l'huître du chat que le chat de tel homme.
Il en est de si sots ! Minette a tant d'esprit !

Mais écoutez plutôt ce fidèle récit :
le fait est arrivé naguère.
L'été dernier, près d'un bois solitaire,
tout attenant à ma maison,
deux chats, parmi le vert gazon,
batifolaient avec leur mère.
Heureux, ils n'étaient pas en âge de raison
Et les jeux innocents faisaient leur grande affaire ;
que n'est-ce celle encore de l'arrière saison ?
Tout à coup deux sombres nuages
se heurtent au milieu des airs ;
de leur choc rejaillit la foudre et mille éclairs ;
c'était le plus bruyant, le plus noir des orages,
un vrai déluge ; et nos chats de trotter
deçà, delà, partout. La porte était fermée ;
la fenêtre est trop haute, on n'y saurait sauter.
La pluie augmente encore, la rue est enflammée,
et rien hélas ! ne peut les abriter.
Que fait alors la mère Minette ?
Moins tremblante pour soi que pour ses deux enfants,
Elle avait observé, sans doute, que les gens
s'annonçaient au logis en sonnant la sonnette,
dont le cordon s'allonge et pend jusqu'au dehors.
 

 

 

 
 

Elle le lorgne, saute, et faisant maints efforts
s'élance, tombe, saute, y reste suspendue
par les deux pattes de devant ;
soudain, comme un lutin, la voilà s'agitant,
tirant, tirant,
tant et si bien qu'elle fut entendue.
La fenêtre s'ouvre à l'instant.
Qui va là… c'est… Minette… au miracle ! au prodige !
Mais n'est-ce point un revenant,
s'écrie Aline ? Oh ! non, c'est Minette, vous dis-je…
On accourt et l'on prend presque pour un prodige,
l'effort industrieux de ce qu'on nomme instinct
guide souvent bien plus certain,
que la raison qui nous dirige.

Pierre-Jean de Béranger (1780-1857)

 

(Un inédit non cité dans le chapitre "FABLE" de l'anthologie

Les chats de noble compagnie)

Mise a jour

Chatr

Date de dernière mise à jour : 26/07/2024