Cette parodie avait fait l’objet d’un montage radiophonique dans les années 90 par Robert de Laroche
LES CHATS
TRAGÉDIE LYRIQUE
Le théâtre représente une terrasse de plain pied aux gouttières.
ACTEURS
GRISETTE, chatte de madame Deshoulières, amante de Cochon.
MIMY, chat de mademoiselle Deshoulières, amant de Grisette.
MARMUSE, chat de madame Deshoulières, confident de Mimy.
CAFAR, chat des Minimes de Chaillot, député des chats du village.
L’AMOUR
Troupe des chats du village
La scène est à Paris dans la maison de Madame Deshoulières.
SCÈNE PREMIÈRE
MIMY, MARMUSE, chœur des chats du voisinage
MIMY
Je ne puis souffrir les rigueurs de Grisette.
Payer mes soins et mon tourment.
Pour Cochon, tu le sais, l’ingrate me maltraite ;
Ciel, quel dérèglement !
Une chatte choisir un chien pour son amant !
Conçois-tu bien, mon cher Marmuse,
L’excès des peines que je sens ?
Depuis deux ans
Un vilain chien possède un cœur qu’on me refuse.
MARMUSE
À votre désespoir, Mimy,
Je ne puis exprimer combien je suis sensible.
J’ai vers la belle gloire une pente terrible ;
Et de plus je suis votre ami :
Croyez-moi, quittez une chatte
Assez peu délicate
Pour préférer un chien au plus parfait des chats.
MIMY
Je ne saurais cesser d’adorer ses appâts.…
Mais il faut aujourd’hui que ma vengeance éclate ;
Ami, ne m’abandonne pas,
Viens m’aider à punir une maîtresse ingrate.
MARMUSE
Quand il faut vous servir, pour moi rien n’est sacré ;
Allons, je vous offre ma patte,
Disposez-en à votre gré.
SCÈNE II
MIMY, MARMUSE, CAFAR, chœur du voisinage
CAFAR
Apprenez, beaux matous, une grande nouvelle :
Cochon vient de perdre le jour ;
Une rage affreuse et cruelle
À Grisette a ravi l’objet de son amour.
MARMUSE
Le cœur de Grisette
Est donc à louer ?
Avec la coquette
Qui veut se jouer ?
Pour moi qui me pense
Un chat d’importance,
Je ne ferai rien
Qui vous fasse dire
Que mon cœur aspire
Aux restes d’un chien.
MIMY
Quelle main favorable a lavé notre injure
Dans le sang de ce chien maudit ?
Cafar, faites-nous le récit
De cette agréable aventure.
MARMUSE
Ne va pas imiter le style triomphant
D’un genre de mortels que beaux-esprits on nomme :
La mouche entre leurs mains devient un éléphant ;
Et l’on pourrait aller de Paris jusqu’à Rome,
Avant qu’ils eussent dit le chagrin d’un enfant
À qui l’on dérobe une pomme
CAFAR
Je n’ai garde d’être si sot.
Un village ici près, qu’on appelle Chaillot,
Agréable, abondant, vaste, peuplé tout comme…
MARMUSE
Justement, t’y voilà ! nous pouvons faire un somme,
Avant que nous soyons à la mort de Cochon.
Harangueur fastueux, dont l’éloquence assomme,
Puisse-t-on de ta peau bientôt faire un manchon.
CAFAR, à Mimy
Ce fou vous est-il nécessaire ?
MIMY
Ne vous amusez pas à ses emportements.
CAFAR
Sachez donc que depuis un temps
Chaillot est devenu le séjour ordinaire
D’un maréchal vaillant comme défunt César,
Sage comme un Caton, savant comme un Homère…
MARMUSE
Halte-là, mon ami Cafar !
L’éloge n’est pas ton affaire ;
Nous connaissons ce maréchal
Ce qu’il a fait, ce qu’il peut faire,
Et nous l’aimons, foi d’animal.
CAFAR, à Mimy.
Ne voulez-vous pas faire taire
Ce petit fripon de matou ?
MIMY, à Marmuse.
Ah ! Marmuse, écoutez, si vous voulez me plaire.
MARMUSE
Qu’il me soit donc permis de baîller tout mon soûl.
CAFAR
Cochon, trop orgueilleux des faveurs de son maître,
De tous les autres chiens attirant le courroux :
C’en est trop, dirent-ils, vengeons-nous ! vengeons-nous !
Il faut nous défaire d’un traître.
La rage à cet instant vint s’offrir devant eux :
Sans qu’on s’en aperçoive ;
Je punirai cet orgueilleux,
Citron, sans tarder davantage,
Ouvre toute son âme à la cruelle rage ;
D’abord ce chien adroit
Parcourut le village,
Puis vint prendre Cochon par un vilain endroit,
Il l’envoya là-bas tout droit.
MIMY
La fortune pour nous devient donc favorable !
Ce chien, ce rival redoutable,
Pour qui nos tendres soins ont été négligés,
A subi des destins l’arrêt irrévocable…
Mais peut-être les maux dont l’Amour nous accable
N’en seront pas plus soulagés.
Grisette pleurera ses plaisirs dérangés.
Quand on aime, est-ce un avantage
De voir du fier objet, à qui l’on rend hommage,
Les beaux yeux toujours affligés ?
CHŒUR DE CHATS
Miaou ! Miaou ! nous sommes tous vengés.
MARMUSE, à Mimy
Au lieu de vous répandre en de belles paroles,
Nous ferions mieux d’aller à pas bien ménagés
Dérober là-bas quelques soles,
Ou de certains chapons, de graisse tout chargés,
Que je sais qu’on n’a pas mangés.
MIMY
Marmuse, un autre soin m’occupe.
MARMUSE
En héros de roman, comme une franche dupe,
Cher ami, vous vous érigez.
CHŒUR DE CHATS
Miaou ! Miaou ! nous sommes tous vengés.
SCÈNE III.
GRISETTE, MIMY, MARMUSE, CAFAR, choeur des chats du voisinage
GRISETTE
Cruels matous, qu’osez-vous dire ?
Songez que vous m’outragez ?
CHŒUR DE CHATS
Miaou ! Miaou ! nous sommes tous vengés.
GRISETTE
À mes cruels ennuis je ne saurais suffire,
Mon juste désespoir va finir mes malheurs ;
Miaou ! Miaou ! Coulez, mes pleurs.
Malgré la haine naturelle
Que le ciel en naissant imprima dans nos cœurs,
Cochon désarma mes rigueurs ;
Et je perdis pour lui le beau nom de cruelle
Miaou ! Miaou !
Coulez, mes pleurs.
MARMUSE
Grisette, rougissez de vos folles douleurs.
CHŒUR DE CHATS
Grisette, rougissez de vos folles douleurs.
GRISETTE.
Non, ce n’est point assez de pleurer ce que j’aime ;
Son trépas demande le mien.
Mourons pour cet illustre chien :
À ses mânes errants immolons-nous nous-même.
Non, ce n’est point assez de pleurer ce que j’aime ;
Son trépas demande le mien.