[…] Laroche, Cabanis (1), Gallois lui ont fermé les yeux. M. Franklin la venait voir tous les jours. L'abbé Morellet passa, pendant dix ans, trois jours de la semaine chez elle. M. Turgot l'aima tendrement. Chamfort, un des hommes de ces derniers temps qui avaient le plus d'esprit, et de qui l'on cite le plus de mots heureux, prenait un plaisir extrême à sa conversation. Souvent elle jetait, au milieu de discussions profondes auxquelles elle ne semblait point prendre part, des exclamations, des mots d'âme qui déroutaient bien des sophismes, avisaient de bons principes, et servaient à bien poser la question.
Quoique bonne et ingénue, ou plutôt parce qu'elle était bonne et ingénue, Mme Helvétius disait quelquefois des choses très piquantes. On pourrait dire d'elle mieux que de Boileau, non qu'elle fît, mais qu'elle "dît, sans malignité, d'assez grandes malices."
Elle a été la plus heureuse des femmes, parce qu'elle est celle qui a le plus aimé ; elle sentait son bonheur, elle le vantait sans cesse, et encore, quelques jours avant sa mort, en disant : Voilà mes amis.
Son dernier mot a été pour Cabanis, qui baisait et pressait ses mains déjà froides, en l'appelant ma bonne mère. Elle répondit : Je le suis toujours […]
Mémoires du comte Roederer
(1) Le docteur Cabanis, médecin et philosophe, était lié avec les hommes les plus marquants de la Révolution, Mirabeau, Condorcet, Sieyès. Il participa au coup d'état de Brumaire et fit partie des cinquante députés choisis dans les deux chambres afin d élaborer un nouveau projet de constitution. Bonaparte, plus tard, le nomma sénateur. Il était son ami.