Le temps que vous emploierez chez vous sera pris sur celui que vous perdriez dans le monde, où vous vous amusez si peu, où vous portez le sentiment toujours pénible de la supériorité de votre âme et de l'infériorité de votre fortune, où vous trouvez des raisons de haïr et de mépriser les hommes, c'est-à-dire, de renforcer cette mélancolie à laquelle vous êtes déjà trop sujet, qui vous met souvent de mauvaise humeur, et qui vous expose quelquefois à vous faire des ennemis. La retraite assurera en même temps votre repos, c'est-à dire, votre bonheur, votre santé, votre gloire, votre fortune et votre considération. Vous aurez moins d'occasions de vous permettre ces plaisirs qui sans détruire la santé, affaiblissent, au moins, la vigueur du corps, donnent une sorte de malaise, et détruisent l'équilibre des passions. La considération de l'homme le plus célèbre tient au soin qu'il a de ne pas se prodiguer. Ayez toujours cette coquetterie décente qui n'est indigne de personne. Votre gloire y gagnera aussi : l'emploi de votre temps augmentera nécessairement, et, par la même raison, votre fortune. Car, croyez-moi, ne comptez jamais que sur vous. Il y a encore une chose que je ne saurais trop vous recommander, et qui vous est plus difficile qu'à un autre, c'est l'économie. Je ne vous dis pas de mettre du prix à l'argent, mais de regarder l'économie comme un moyen d'être toujours indépendant des hommes, condition plus nécessaire qu'on ne croit, pour conserver son honnêteté.
"Caractères et anecdotes, Paris, G.-F. Flammarion, 1968, p. 336.