Le Voyant d'Etampes d'Abel Quentin (2021)

iroise16 Par Le 23/03/2025

Dans Littérature

Toutes les certitudes de Jean Roscoff, universitaire fraîchement retraité, s'ébranlent au contact des "éveillés" que sont sa fille et la nouvelle compagne (totalement insupportable) de celle-ci. Son ami Marc plus "argenté" que lui, son ex-épouse avec qui il communique  pour assumer leur statut commun de parents ne lui sont d'aucun secours. Il essaie en vain de se réfugier dans le souvenir des belles années où il militait aux côtés de SOS racisme et d'hommes de gauche comme Julien Dray. Mais l'antiracisme a bien changé avec la gangrène des réseaux sociaux et l'avancée de l"idéologie "woke".

Maître de conférence en histoire à Paris VIII, spécialiste du Maccarthisme et du parti communiste américain, Roscoff avait déjà fait un faux pas avec son livre sur les époux Rosenberg dont il défendait l'innocence, sa carrière en avait souffert. Voilà qu'à 65 ans, il reprend le projet ancien d'écrire la biographie d'un poète américain : Robert Willow venu se réfugier en France ( à Etampes, précisément) dans l'entourage parisien de Sartre. Willow est mort prématurément,  entre Milly et Barbizon, dans un accident de voiture, comme Albert Camus.

Roscoff, plein d'enthousiasme, mène ses recherches tambour battant. Quand son livre paraît chez un petit éditeur timoré, ce n'est pas la consécration sur le tard espérée. La violence anonyme des réseaux sociaux déferle sur lui. De quoi cet homme blanc hétérosexuel se mêle-t-il ? Robert Willow était noir  ! Les idées de gauche de notre historien sont mises à l'épreuve et ce n'est pas son alcoolisme qui peut le rasséréner…

Ce livre m'est tombé entre les mains par hasard, mais il ne m'est pas tombé des mains, au risque de passer pour réactionnaire. Ne sachant au départ si je devais en rire ou en pleurer, je l'ai trouvé  en définitive jubilatoire. C'est intelligent, brillant. Je ne connaissais pas Abel Quentin, je me propose de faire un autre plongeon dans son œuvre dès que possible.

 

Citations :

La  fac était le décor familier qui me déprimait autant qu'il me rassurait et c'était celui des ensembles en béton, de la morgue intellectuelle, des rétributions symboliques, des cols roulés, des publications pointues, des colloques jargonneux, des photocopieuses en panne, des jeux de pouvoir invisible, ascenseurs vétustes et amiantés, chapelles, culte des titres, grades, étudiants chinois effarés, acronymes mystérieux, baies vitrées sales, syndicats sourcilleux, cartons de tracts crevés, tags fripons dans les chiottes, c'était cettte vieille ruine au charme inaltéré : l'Université. J'y avais passé près de quarante ans, elle ne m'avait pas ouvert les portes aussi grandes que je l'aurais souhaité, elle m'avait déçu mais enfin c'était mon monde, mon environnement naturel. (pp. 89-90, éd. J'ai lu)

Les lois de l'indignation collective étaient peu lisibles, on pouvait certes anticiper certaines réactions, on pouvait lire des signes mais on ne manquait jamais d'être surpris, les coups ne venaient pas du lieu exact d'où on les attendaait. De ce point de vue la twittosphère était un lieu où s'exprimait une réelle créativité. Dans mon cas, le mot qui fit l'effet d'une giclée d'essence sur un feu moribond n'était pas ma sortie sur le collègue gabonais, ni mes explications embrouillées sur Frazier, non, ce mot était le dernier que j'avais lancé à la figure de Vichinski : "lynchage". "C'est un lynchage.", avais-je dit. Il m'avait sauté  à la tronche comme une mine antipersonnelle à la tronche de son poseur maladroit. (p. 380)