Madame Roland écrit ses Mémoires en prison. La guillotine l’attend (Elle sera exécutée le 8 novembre 1793). Le temps lui manquera pour se relire, évoquer plus précisément des moments de vie qui lui tiennent à cœur.
Marie-Jeanne Phlipon épouse Jean-Marie Roland qui a vingt ans de plus qu’elle, le 4 février 1780. Révolutionnaires de la première heure, les Roland défendent les thèses de leur ami Brissot contre Robespierre, c’est ce qui causera leur perte. Madame Roland est l’égérie des Girondins. Laissons de côté les Notices historiques, les Portraits et anecdotes qui m’intéressent au premier chef, mais pour un ouvrage en cours.
Les Mémoires particuliers rédigés aux prisons de Sainte-Pélagie, le 9 août 1793 commencent ainsi : « Fille d’artiste, femme d’un savant devenu ministre et demeuré homme de bien, aujourd’hui prisonnière, destinée peut-être à une mort violente et inopinée, j’ai connu le bonheur et l’adversité, j’ai vu de près la gloire et subi l’injustice. » Avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, beaucoup de personnes s’engageraient-elles aussi fermement dans une rétrospective de leur vie ? Mais « c’est vivre une seconde fois » et « qu’a-t-on de mieux à faire en prison que de transporter ailleurs son existence par une heureuse fiction ou par des souvenirs intéressants » ?
L'enfance de Madame Roland fut heureuse grâce à la vigilance de sa nourrice et l’affection de ses parents — au demeurant sévères — qui avaient perdu leurs six autres enfants. Manon – c’est ainsi qu’on l’appelait — savait lire dès l’âge de quatre ans. Son désir d’apprendre faisait la joie de ses maîtres. Elle avait dix-huit ans quand M. Marchand qui lui avait enseigné la géographie et l’histoire mourut à l’âge de 50 ans ; elle honorait particulièrement ce précepteur au point de lui avoir rendu visite dans ses derniers jours. Les portraits familiaux sont brossés à la fois avec franchise et bienveillance. L’évocation de ses lectures de jeunesse est édifiante ; c’est Plutarque qui a fait d’elle la républicaine qu’elle ne songeait pas à devenir alors !
On parle à l’envi de lectures de vacances : elles sont calibrées et peuvent être vite effacées. Ce récit de vie ne mérite pas l’oubli et si par un improbable hasard, les néo-féministes lisaient les textes de Madame Roland, de salutaires réflexions leur viendraient sans doute à l’esprit. Je ne développerai pas davantage ce récit d’une vie qui valait d’être vécue et qui vaut d’être (re)découverte, autrement que par Wikipedia…
Je termine par des citations extraites d’une conversation que Manon avait eue avec son père à propos du mariage : « Je ne suis pas juge du bonheur d’autrui et je n’attache point le mien à l’opulence ; je ne conçois de félicité dans le mariage que par la plus intime union des cœurs ; je ne puis me lier qu’à qui me ressemble, et encore faut-il que mon mari vaille mieux que moi, car la nature et les lois lui donnant de la supériorité, j’en aurais honte s’il ne la méritait véritablement. » Et à propos du commerce vanté par M. Phlipon : « Tenez, papa, j’ai trop bien vu qu’on ne réussissait dans le commerce qu’en vendant cher ce qu’on avait acheté grand marché, qu’en mentant beaucoup et rançonnant le pauvre ouvrier ; je ne saurai jamais me prêter à rien de semblable, ni respecter celui qui s’en occupe du matin au soir : or je veux être une honnête femme et comment serais-je fidèle à l’homme dont je ne tiendrais nul compte, en admettant que j’eusse pu l’épouser ? »
Autres temps, autres mœurs, vraiment ?
(Le Temps retrouvé, Mercure de France, 1966 et 1986, édition présentée et annotée par Paul de Roux)
à Paris, le 10 août 2024, S. G.-A.