Colette est née en 1873 : 150 ème anniversaire oblige !
Voici un extrait de Dialogue de bêtes publié en 1904
KIKI-LA-DOUCETTE, assis, les yeux pâles de sommeil et le lumière : Tu as réussi à m’éveiller. C’est tout ce que tu voulais n’est-ce pas ? Mes rêves sont partis. A peine sentais-je, à la surface de ma fourrure profonde, les petits pieds agaçants de ces mouches que tu poursuis. Un effleurement, une caresse parfois ridait d’un frisson l’herbe inclinée et soyeuse qui me revêt… Mais tu ne sais rien faire discrètement ; ta joie populacière encombre, ta douleur cabotine gémit. Méridional va !
TOBY-CHIEN, amer : Si c’est pour me dire ça que tu t’es réveillé !...
KIK-LA-DOUCETTE, rectifiant : Que tu m’as réveillé.
TOBY-CHIEN : J’étais mal à l’aise, je quêtais une aide, une parole encourageante…
KIKI-LA-DOUCETTE : Je ne connais point de verbes digestifs. Quand je pense que de nous deux, c’est moi qui passe pour un sale caractère ! Mais rentre un peu en toi-même, compare ! La chaleur t’excède, la faim t’affole, le froid te fige…
TOBY-CHIEN, vexé : Je suis un sensitif.
KIKI-LA-DOUCETTE : Dis : Un énergumène.
TOBY-CHIEN : Non, je ne le dirais pas. Toi, tu es un monstrueux égoïste.
KIKI-LA-DOUCETTE : Peut-être. Les Deux-Pattes – ni toi – n’entendent rien à l’égoïsme, à celui des Chats… Ils baptisent ainsi, pêle-mêle, l’instinct de préservation, la pudique réserve, la dignité, le renoncement fatigué qui nous vient de l’impossibilité d’être compris par eux. Chien peu distingué, mais dénué de parti pris, me comprendras-tu mieux ? Le chat est un hôte et non un jouet. En vérité, je ne sais en quel temps nous vivons ! Les Deux-Pattes, Lui et Elle, ont-ils seuls le droit de s’attrister, de se réjouir, de laper les assiettes, de gronder, de promener par la maison une humeur capricieuse ? J’ai, moi aussi, MES caprices, MA tristesse, mon appétit inégal, mes heures de retraite rêveuse où je me sépare du monde…
Du miaulement...
Extrait (pp.290-91) de Le génie féminin (t.3) par Julia Kristeva (éd. Fayard)
L'humour d'un snob, par exemple, est celui de Kiki-la-Doucette qui s'adresse ainsi à Toby-Chien : " Mais tu ne sais rien faire discrètement ; ta joie populacière encombre, ta douleur cabotine gémit. Méridional va !" Toby-Chien, à son tour, la toise avec le regard paniqué et envieux d'un homme jaloux du repos absou de sa femem : "Vis-tu seulment ? YTui es si plat ! Tu as l'air d'une peau de chat vide." Ou encore, Kili-la-Doucette connaît le langage secret de sa maîtresse comme s'il était le sien, surtout lorsqu'Elle est humiliée par un mari vicieux : "Si Elle devait parler en quatre-pattes, elle miaulerait [...]. Elle et moi, nous dédaignons le plus souvent de nous expliquer." De sa collaboration avec Ravel pour la création de l'Enfant et les Sortilèges, Colette se souvient - sinon exclusivement - de l'insistance de Ravel sur le cri des félins. Le miaulement comme code immédiat de la passion : est-ce là une projection de Kiki-la-Doucette, de Ravel ou de Colette ?