Je fais mon affaire de vous entretenir de ce monde-ci (1). D’abord je vous dis qu’il est détestable, abominable, etc. Il y a quelques gens vertueux, du moins qui peuvent le paraître, tant qu’on n’attaque point leur passion dominante, qui est pour l’ordinaire, dans ces gens-là, l’amour de la gloire et de la réputation. Enivrés d’éloges, souvent ils paraissent modestes ; mais le soin qu’ils prennent pour les obtenir en décèle le motif, et laisse entrevoir la vanité et l’orgueil. Voilà le portrait des plus gens de bien. Dans les autres sont l’intérêt, l’envie, la jalousie, la cruauté, la méchanceté, la perfidie. Il n’y a pas une seule personne à qui on puisse confier ses peines, sans lui donner une maligne joie et sans s’avilir à ses yeux. Raconte-t-on ses plaisirs et ses succès ? On fait naître la haine. Faites-vous du bien ? La reconnaissance pèse, et l’on trouve des raisons pour s’en affranchir. Faites-vous quelques fautes ? Jamais elles ne s’effacent ; rien ne peut les réparer. Voyez-vous des gens d’esprit ? Ils ne seront occupés que d’eux-mêmes ; ils voudront vous éblouir, et ne se donneront pas la peine de vous éclairer. Avez-vous affaire à de petits esprits ? Ils sont embarrassés de leur rôle ; ils vous auront mauvais gré de leur stérilité et de leur peu d’intelligence. Trouve-t-on, au défaut de l’esprit, des sentiments ? Aucuns, ni de sincères ni de constants. L’amitié est une chimère ; on ne reconnaît que l’amour ; et quel amour ! Mais en voilà assez, je ne veux pas porter plus loin mes réflexions ; elles sont le produit de l’insomnie ; j’avoue qu’un rêve vaudrait mieux.
(1) Auparavant elle a « disserté » sur l’au-delà.