Un chat, la gloire de l’espèce,
Beau, poli, plein de gentillesse,
Enfin un chat de qualité,
Nourri dans la délicatesse,
Et qui n’avait jamais été
Dans la triste nécessité
D’aller en Rodelard pour chercher sa pâture,
De souris et de rats faire déconfiture ;
Ce chat donc, si bien appris,
Un beau matin d’aventure,
Se saisit d’une souris.
La chétive créature,
Qui sentit griffe de chat,
Fit état
D’être à son heure dernière,
Et pourtant fait la prière
Qu’à la bête meurtrière
Souris font en pareil cas.
Pour Dieu ! Ne me mangez pas.
Moi, vous manger ? Ma bonne amie !
Vous pouvez être un très friand morceau ;
Mais quant à moi, de votre peau
Je vous promets que je n’ai nulle envie.
Lâchez-moi donc, lui dit le souriceau.
Oh ! Pour cela c’est autre chose.
Non. Avec vous je me propose,
S’il vous plaît de me divertir.
J’aime à jouer, c’est mon plaisir,
Et je vous crois très amusante.
Çà ; vous allez voir de mes tours,
Petite pelote vivante !
Ne craignez donc rien pour vos jours.
Je ferai patte de velours.
Et voilà le jeu qui commence.
On peut juger quel jeu c’était
Pour la souris, qui toute en transe,
Tandis qu’en l’air on la jetait,
Qu’on la froissait, la ballottait,
Dans l’angoisse et la souffrance,
Jetait les hauts cris, soupirait,
N’en pouvait plus et se mourait.
Ce jeu cruel ne l’est pas davantage,
Que les jeux dont il est l’image.
La Fermière, Fables et contes dédiés à son altesse impériale Monseigneur le grand duc de toutes les Russies, Paris, chez Lacombe, 1775, p. 103.